Un matin de Juin 2016. Je suis encore sous le charme de ma rencontre avec Tara Brach, hier soir. Elle donnait un atelier-conférence auquel j’ai assisté puis nous avons pu dîner ensemble, au premier étage d’un petit café parisien. Il faisait tout à fait chaud. Trop chaud. J’aime ces soirées parisiennes où tout est démesuré : trop d’humidité dans l’air, trop de bruit, trop de chaleur, trop de monde, trop de fébrilité. Je trouve ces ambiances irrésistibles. C’est-à-dire que la seule manière de les vivre est d’abandonner toute résistance, tout effort, pour se laisser profondément imprégnée par l’atmosphère générale. J’étais comme bercée par la canicule. À la nuit tombée, alors que le thermomètre n’avait pas baissé d’un degré, nous avons grignoté une salade de concombre à la feta et bu un vin rosé bien frais. Et nous avons parlé de ce que c’est qu’enseigner.
Un lien entre thérapies occidentales et tradition bouddhiste
Tara Brach enseigne la méditation aux Etats-Unis depuis plus de 35 ans. Elle a été formée aussi bien à la tradition bouddhiste qu’aux thérapies occidentales, ce qui lui a permis de développer un travail de pointe pour aider les personnes victimes d’addictions diverses à retrouver l’estime d’elles-mêmes. Son livre, L’acceptation radicale, écrit en 2003, sortait seulement maintenant en France, le pourquoi de sa venue.
Pendant les presque trois heures qu’avait duré son atelier-conférence, j’avais vu une femme très honnête et délicate. Malgré le grand professionnalisme de son intervention, on pouvait sentir sa vulnérabilité, sa fragilité qu’elle ne cherchait, du reste, pas du tout à cacher.
L’héritage des enseignants américains
Quand je me suis trouvée assise aux côtés de cette femme menue et souriante, je me suis aussitôt sentie bien, à ma place ; et à l’orée d’un continent passionnant : celui des enseignants américains. Tara non seulement en fait partie mais les connait tous : Jack Kornfield, Sharon Salzberg, John Kabat-Zhin, John Welwood…
J’ai eu ainsi la chance de pouvoir discuter avec elle de ce qu’est enseigner la méditation. Qui n’est pas un dogme ou une leçon à donner mais la transmission d’une expérience propre. Tara m’a parlé de son parcours, de ses rencontres avec des yogis et des maîtres tibétains, de Chögyam Trungpa mais aussi de sa vie, de son mari, de son fils et du défi d’être mère… avec une telle simplicité, une telle franchise. Les moments où elle s’est sentie coupable face à son fils (elle me demande si j’ai des enfants), après une colère qui l’avait submergée. Et comment elle prenait le temps de contempler la situation pour trouver une issue, pour retrouver le lien de cœur avec cet enfant qui lui est si cher.
La méditation pour sortir de la culpabilité
Sortir de la culpabilité pour retrouver une forme de justesse vis-à-vis de soi et vis-à-vis du monde est le sujet de son livre et de son travail d’accompagnement. Tara appelle cela la pause sacrée : elle explique que, lorsque nous sommes envahies par l’émotion, la tristesse, la rage, la culpabilité, nous pouvons faire une pause et prendre le temps de porter une attention douce et bienveillante à ce qui se passe en nous, à ce que nous ressentons. Cela nous apprend à synchroniser notre corps et notre esprit. Cette pause est cruciale pour stopper la cruauté de nos jugements, de nos auto-critiques, de nos fuites… Et elle nous confronte à la question :
Qu’est-ce que nous ne sommes pas prêt à ressentir ? Bien souvent, ce que nous ne sommes pas prêts à ressentir est à la mesure de ce que nous ne sommes pas prêts à pardonner…
me dit-elle.
À chaque fois qu’elle se sent bloquée ou déconnectée, Tara sait qu’elle a le pouvoir de repartir dans son existence d’un nouveau pied en s’arrêtant, en se détendant et en portant son attention sur son expérience immédiate. C’est ce qu’elle transmet avec ardeur et générosité.
Ses propos étaient incarnés, fruits de la vie et de sa fine compréhension de la pratique.
Que faire quand on a le trac ?…
Puis je fus étonnée qu’elle me pose à son tour des questions, à moi qui n’enseignais que depuis quelques années. Avec une curiosité et une vivacité qui ne laissaient rien voir de sa fatigue et du décalage horaire qu’elle subissait. Je lui ai raconté la création de l’École occidentale de méditation en 2006, le cycle de stages que j’ai la chance d’organiser et d’enseigner. Elle m’a demandé si j’enseignais à de petits groupes ou de plus grandes assemblées, si j’avais le trac avant d’intervenir… Le trac ? Oh que oui ! Et qu’est-ce que je fais dans ces moments-là ?… Quand je sens que je perds pied, que j’ai l’impression de perdre jusqu’à la consistance de mon corps… je médite ! Qu’il y ait 10 personnes ou 1000 personnes devant moi, je prends un instant (en réalité quelques secondes suffisent) pour me rassembler. Je reviens à la posture ; je prends le temps de sentir la densité de mon corps, mon poids sur le coussin, sur la chaise ou dans mes jambes ; j’observe où en est mon souffle, qui me renseigne sur mon état nerveux ; et alors j’ai de nouveau une base solide à partir de laquelle enseigner : l’endroit précis où je me trouve ! Être là où nous sommes reste la clé.
En ces temps de confinement, vous pouvez entendre Tara Brach donner des enseignements depuis chez elle (en Américain) en suivant ce lien.