Longtemps j’ai cru que seule la raison pourrait me sauver. J’ai toujours beaucoup rêvé et quand je me réveillais, j’analysais ces voyages nocturnes le plus rationnellement possible en les rapprochant méthodiquement de ce que je connaissais déjà. Ainsi, ce qui se passait la nuit, hors de mon contrôle, était soigneusement ramené à une dimension plus logique. Bien sûr, parfois j’étais troublée par la puissance d’un rêve. Alors, je le notais. Puis je l’oubliais.
La bienveillance pour soi
Je pratiquais la méditation depuis déjà un certain temps quand j’ai découvert, à l’été 2006, que certaines méditations traditionnelles s’appuient sur la visualisation de souvenirs. Cela m’a d’abord désarçonnée. Je me demandais si je pouvais faire confiance aux imaginations de mon esprit : sont-elles assez précises, sont-elles bien fidèles à mon passé ?… Or l’objet de ces méditations est précisément de plonger dans notre capacité à imaginer… Par exemple dans les pratiques de bienveillance pour soi ou d’auto-compassion l’invitation consiste à évoquer mentalement, avec beaucoup de détails visuels et sensoriels, un moment où nous nous sommes senti·e aimé·e. Passée ma phase d’étonnement, j’ai développé dans les années qui ont suivi, un lien tout particulier à ces pratiques. Elles m’ont clairement aidée à sortir d’un esprit trop rationnel et donc étroit.
Aujourd’hui, quand je transmets ces méditations à des personnes qui les découvrent, une question arrive inévitablement : « Mon souvenir est-il bien réel ? Ne suis-je pas entrain de manipuler le passé ? Ne suis-je pas entrain d’inventer que l’on m’a aimé·e… » Et c’est une véritable inquiétude chez la personne qui pose la question. Comme si la pratique ne pouvait fonctionner que sur la base d’un souvenir « véritable »… Comme si faire émerger la sensation d’être apprécié·e, chéri·e, cajolé·e ne pouvait fonctionner que sur la preuve d’une situation avérée…
Comme si, finalement, notre passé était gravé dans le marbre sans aucune marge laissée à notre imagination…
La force de l’évocation
Et pourtant, quand nous imaginons que l’on nous aime, ne serait-ce qu’une fraction de seconde, n’éprouvons-nous pas une sensation de chaleur et de détente ? N’éprouvons-nous pas cette joie à nous sentir relié·e à une personne ? Je veux dire par là qu’il « suffit » de croire que l’on est aimé·e pour ressentir les effets physiques de cet amour. Nous n’avons pas besoin de preuves. En tout cas nous n’avons pas besoin de preuves pour ressentir !
Je sais, ce que j’écris peut paraître incroyable et pourtant faites l’essai : rappelez-vous un moment dans votre enfance où vous avez senti que l’amour était présent ; auprès d’un parent ou d’un camarade, en compagnie d’un animal chéri, ou dans la nature, au bord d’une rivière ou dans un champ de coquelicots. Rappelez-vous cette sensation de bonheur tout simple, de plénitude que vous éprouviez ; votre cœur ouvert à cette tendresse offerte. Laissez ce souvenir distiller en vous douceur et réconfort. Avez-vous besoin de preuves que le parent, le chat ou la rivière vous aimait pour ressentir cet apaisement ?
Créer les conditions de notre apaisement
Méditer sur un souvenir agréable – qu’il soit parfaitement réel ou tout à fait réécrit – c’est prendre soin de soi. C’est offrir un baume à ses blessures, à son mal-être.
C’est l’idée de ces pratiques : apprendre à nous détendre. Et alors, la certitude d’être dans l’imposture s’efface, ne serait-ce qu’une fraction de seconde, pour laisser place à une sensation d’harmonie avec ce qui est. C’est très étrange et très simple aussi : nous lâchons notre indécrottable tendance à tout contrôler et alors nous ressentons de la tendresse pour ce qui nous entoure. Et cette tendresse est réflexive. Cet esprit qui nous aide à nous souvenir, peut aussi nous aider à rassembler les conditions de notre apaisement.
Sortir des geôles du rationalisme
Laisser notre esprit imaginer librement nous sort des geôles de la raison érigée en vérité unique. La raison c’est bien, mais pas quand elle règne en maître despotique ! L’imagination, le rêve, la créativité participent concrètement à forger notre monde. La raison est peut-être un repère rassurant mais elle peut aussi appauvrir notre existence.
La raison n’aime pas l’aventure, l’imagination l’adore.
La raison ramène tout ce qu’elle rencontre à ce qu’elle connaît déjà, alors que l’imagination crée de nouveaux horizons. Or ces nouveaux horizons sont indispensables pour inventer notre futur. Notre imagination nous aide à sortir du conformisme, des histoires officielles pour inventer de nouvelles possibilités. Ces nouveaux récits vont forger notre réalité, venir la moduler. C’est une idée centrale dans la tradition bouddhiste : ce que nous pensons transforme la perception que nous avons de notre environnement. L’esprit a une action véritable sur notre réalité. L’enseignante américaine Tsültrim Allione l’écrit ainsi dans son livre Wisdom Rising, quand elle évoque le principe de la dakini :
« Nos visualisations, nos créations intérieures, ce que nous incarnons en vient à se manifester au dehors.»
Prenons un exemple : quand vous appréciez une personne, vous voyez ses qualités et vous interagissez avec elle à partir de cette image positive. Votre attitude la rassure et fait que votre relation peut être agréable. Vos paroles, vos actions réciproques reflèteront cette confiance et créerons des situations qui seraient totalement différentes si vous pensiez du mal d’elle. Ainsi ce que vous pensez influe directement sur ce qui se passe.
L’imagination spéculative
Dans la présentation du Colloque Gestes Spéculatifs, sous la direction de Isabelle Stengers et Didier Debaise, on pouvait lire ceci à propos de l’atelier « Savoirs et fabulations » :
« Les fabulations sont ces récits qui creusent des interstices dans notre monde, le travestissent et le manipulent […] jusqu’à ce qu’il puisse susciter de nouveaux attachement et pousser à ce qu’on rouvre l’enquête, à ce qu’on explore à nouveau ce territoire délaissé qui ne semblait pas mériter notre attention. »
Ce que j’aime beaucoup dans cet extrait c’est la notion d’interstices creusés. Par exemple, dans les méditations de bienveillance, l’imagination nous aide à creuser un interstice dans cette étonnante croyance que nous ne serions pas dignes d’être aimé·es. Elle crée une fêlure par laquelle un air frais peut entrer et régénérer notre vision des choses. Un air frais qui nous invite à explorer « à nouveau ce territoire délaissé qui ne semblait pas mériter notre attention ».
L’imagination pour retrouver notre puissance
Notre monde a tant délaissé l’aspect imaginal que nous avons oublié que nous pouvions réinventer notre vie. Nous avons développé une forme de fatalisme qui nous prive de notre puissance. Pour retrouver notre force certaines pratiques méditatives peuvent nous aider. Et c’est probablement ce que j’apprécie le plus dans la méditation : l’aide qu’elle nous offre pour sortir de l’impuissance.
La méditation qui consiste à « Nourrir ses démons »[1] notamment nous indique un chemin basé sur la richesse de notre imagination. Pour transformer les obstacles qui nous assaillent, nous visualisons nos démons, nous dialoguons avec eux, leur offrons l’écoute dont ils ont besoin puis nous les transformons en allié·es du quotidien. Ainsi notre capacité créative à visualiser nous permet de débusquer l’énergie que nous gâchons à lutter contre nos peurs et à transmuter cette énergie en élan vital.
L’imagination est une force de transmutation. Et c’est ce dont notre monde a tant besoin aujourd’hui : changer de paradigme pour créer de nouveaux horizons.
[1] Si le processus « Nourrir ses démons » vous intéresse, laissez-moi un commentaire. Je vous enverrai des informations sur les journées que j’organise autour de cette pratique. Voir aussi mon entretien avec Tsültrim Allione à Prague.
Photo de couverture Ryanniel Masucol
Coucou Marie Laurence
oui je suis très intéressée par le processus » nourrir nos démons » et te renouvelle mon désir de participer aux journées que tu organises
je t’embrasse fort.
Martha
Coucou Martha, je t’envoie les informations tout de suite ! je t’embrasse for
Hâte de te retrouver 🙂
Bonjour Marie Laurence
Merci pour ce très bel article.
Je suis très intéressée par les pratiques de « nourrir ses démons », cela dépendra évidemment des dates pour que je puisse venir à Paris.
Je t’embrasse
Merci pour ton commentaire Agnès. Je trouve incroyable – et de nos jours peu utilisé – le pouvoir de l’imagination. Tu connais la fameuse phrase « Elles l’ont fait parce qu’elles ne savaient pas que c’était impossible » ! C’est précisément cela l’aide de l’imagination : envisager de nouveaux mondes, de nouveaux comportements, de nouvelles relations libres de nos carcans habituels. Et c’est très en rapport avec la pratique des démons. Je t’envoie les infos par mail. À très vite
Ravie de te lire chère Marie-Laurence !
Oui je suis très intéressée par ses pratiques « nourrir les démons ».
En ce moment,Je transmets à l’école ou je travaille des méditations de bienveillance et d’auto compassion qui sont tellement appréciées. Même si ça peut dérouter les gens au début…
Au plaisir de te lire
Je t’embrasse
Merci pour ton gentil commentaire Sylvie. Dans ton école, transmets-tu aux enseignant·es ou aux élèves ? C’est vrai que ce sont des méditations qui peuvent dérouter, c’est ce dont je témoigne dans cet article. Nous avons tellement perdu l’habitude de nous relier à notre bienveillance naturelle.
De mon côté, je t’envoie les informations par mail sur « Nourrir ses démons ».
Je t’embrasse
Très chère Marie Laurence, quelle joie de te lire et peut être de te retrouver prochainement, en janvier ou à d’autres dates, selon mes disponibilités. Je suis toujours aussi surprise par la force des émotions qui se dévoilent au travers de notre corps. Des émotions – sensations. Des sensations – émotions. Revivre au travers d’un souvenir, qu’il soit réel, inventé, embelli, peu importe, revivre dans son corps le simple fait de se retrouver en compagnie d’une amie, par exemple. Ça c’est un cadeau formidable que j’ai découvert au travers de la méditation. Trouver de l’apaisement, de la fluidité à l’aide de notre imagination, sans pour autant fabriquer, imaginer cet apaisement. De tout cœur, Cécile
Ton message est si juste chère Cécile. « Trouver l’apaisement à l’aide de notre imagination, sans pour autant fabriquer… » Merci de l’avoir partagé. Je t’envoie les nouvelles dates de « Nourrir ses démons » par mail. De tout cœur.
Bonsoir Marie Laurence, très intéressée par ce que tu proposes sur nourrir ses démons ‘ !
Bonjour Delphine, et merci pour ton intérêt. Je t’envoie un mail.
Chère Marie Laurence, merci pour cet article qui me parle beaucoup car j’ai beaucoup de difficulté avec l’imaginaire… Comme si ce n’était pas assez sérieux ni « valable » … Un truc qui ne mérite pas mon attention…tes mots ouvrent des perspectives…
Je suis intéressée par ta journée pour apprendre à dialoguer avec mes démons… Merci Marie Laurence pour ton travail qui change nos vies
Chère Catherine, merci pour ton message. Ton attitude est tellement compréhensible dans un monde qui édifie la raison comme seule valeur. Nous avons à reconquérir cette dimension imaginaire car comme le dit l’anthropologue Charles Stepanoff : « L’imagination ne nous fait pas sortir du réel, elle approfondit notre relation au monde »… Je t’envoie les informations par mail. Très chaleureusement.