Dans une vitrine de magasin, une mapemonde et tout un bric à brac d'objets, illustrent la vie matérielle

Plus j’oublie mon corps, plus le monde devient abstrait

Quand je repense à mon enfance ou à mon adolescence, j’ai le souvenir d’un rapport corporel au monde. Une impression d’unité, d’harmonie sensorielle notamment avec la campagne foisonnante où j’habitais.

Puis je suis entrée dans la vie adulte. Et là, j’ai commencé à basculer… dans l’abstraction ! J’ai cru – on m’a fait croire, je me suis fait croire – que devenir adulte c’était devenir conséquente, intelligente, responsable, sérieuse, consciente…

Devenir adulte c’était devenir consciente…

La présence corporelle

J’ai procédé à un abandon progressif de la présence corporelle. Mon corps se trouvait de plus en plus réduit au rôle de support de mes capacités intellectuelles. Je me suis convaincue que le plus important était de comprendre. De tout comprendre. Le plus important était d’être capable d’expliquer, de tout expliquer. Dans ma vie professionnelle en particulier, s’est installé le mirage de pouvoir répondre à tout, intellectuellement.

Oublier le corps qui souffre

Je pense que le problème est particulièrement aigüe lorsqu’on est femme car pour se faire accepter dans la sphère professionnelle, nous devons faire « comme un homme » et oublier nos spécificités : notre corps qui souffre et crie tous les mois, notre corps traversé par la maternité, notre corps qui change à la péri-ménopause. Notre corps traverse des cycles mais on ne doit rien en montrer. Nous devons nous comporter vis-à-vis de lui avec une certaine neutralité, comme si de rien n’était, sous peine de passer pour quelqu’un (quelqu’une) de moins efficace, quelqu’une de pas pleinement opérationnelle…

Le célèbre slogan proclame « Notre corps nous appartient » mais de quel corps s’agit-il ? où est-il passé ? quelle considération, quel respect lui accorde-t-on ?

Lorsque l’enfant paraît

Pour ma part, à trente ans j’avais relayé mon corps au rang d’outil, il était là pour supporter mon esprit dont j’essayais de faire grandir le pouvoir de toutes les manières. Et puis, un peu après trente ans, est arrivée ma première enfant. Et là j’ai vraiment senti que ça n’allait pas ma manière de faire. En matière d’éducation par exemple, j’ai eu l’intuition qu’il fallait écouter ce que je sentais plutôt que les conseils qu’on me donnait ou les livres qu’on me recommandait. Essayer de sentir plutôt que de trop réfléchir…

J’avais l’intuition mais je n’avais pas la clé.

Le moment-clé

La clé elle m’a été offerte quelques années plus tard par la méditation, avec mon premier stage, en 2004. Le séminaire était un enseignement sur la traversée des émotions. Une traversée corporelle, sensitive, sensuelle mais aussi bouleversante, engageante, exigeante.

Une transformation s’est opérée en moi.

J’ai découvert que j’avais le droit de sentir au lieu de penser, j’avais le droit d’éprouver au lieu d’analyser.

J’étais soudain soulagée de cette chape d’intelligence, faite de concepts, d’idées, d’obligations, d’objectifs que je m’imposais depuis des années. J’avais le droit à nouveau de goûter le plaisir de sentir la vie à partir de sa matérialité, la vie matérielle que décrit Marguerite Duras, les choses matérielles, sensibles, concrètes. Et ce droit était même le meilleur choix pour accéder à une vie véritablement spirituelle.

Je retrouvais une existence où je pouvais sentir l’humus et entendre le chant des oiseaux. Comme quand j’étais adolescente !

Une vie pleinement humaine, ancrée sur terre, avec un rapport sain au ciel

Depuis, je travaille chaque jour à entrer plus en rapport au monde à partir de ma présence corporelle. Notamment quand ça ne va pas, quand je suis angoissée ou désarçonnée par exemple.

Mes sens me donnent le sens. Un sens profond, le sens de la vie, une direction à suivre.

Mon intelligence n’est plus prisonnière de ma tête mais s’ancre dans mon corps tout entier. Je consens à la vie en moi, à toutes ces sensations qui me mettent en relation avec la réalité qui m’entoure.

Je redeviens sensible, sentimentale, sensée, sensationnelle ! Et ces sensations concrètes me rendent le monde intelligible, vivant, en un mot : habitable.

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