Alors que je lui expliquais mon désir de tourner une page de mon existence pour en ouvrir une autre, un ami cher me répond « La vie est faite de métamorphoses ». Cette phrase a soudainement changé mon état d’esprit. De la légère tristesse dans laquelle je me trouvais a surgi un vent frais, celui de l’évidence.
Un mouvement vital
Métamorphoses… ce mot que je connais, je réalise que je ne l’utilise plus depuis longtemps. Et pourtant, combien je l’aime. La métamorphose évoque un mouvement vital et progressif. Une transformation profonde et parfois même éblouissante. La modeste chenille devient le splendide papillon. L’indécis têtard devient l’insaisissable grenouille.
Ce mot me plaît car il encourage au changement. Il contient en lui-même une promesse d’évolution, d’accomplissement. Par exemple, devenir un peu plus qui je suis. Ou pour le dire autrement, me laisser transformer pour aller vers une vie plus entière, plus réelle, moins fantasmée.
À l’intérieur de nous dort un trésor
Nos métamorphoses sont des étapes, parfois douloureuses, souvent inconfortables mais toujours nécessaires pour nous approcher de qui nous sommes. Il s’agit peut-être de laisser s’harmoniser l’intérieur et l’extérieur. Car à l’intérieur de nous dort un trésor : notre sensibilité.
Longtemps, je ne me suis pas reconnue dans l’image qui émanait de moi, ce que je donnais à voir « de l’extérieur » : alors que je me sentais fragile à l’intérieur, je renvoyais une impression d’invulnérabilité, sans même le vouloir. Cela m’échappait. Ou encore je me sentais douce et gentille alors que je me manifestais plutôt comme « speed » voire brutale. Et j’en voulais aux gens de ne pas comprendre la personne sensible que je suis. Je crois que pendant des décennies, j’apparaissais très différente de ce que je me sentais être.
La métamorphose s’est concrétisée pour moi dès ma première expérience de méditation. Invisible mais efficace.
Se métamorphoser, c’est métamorphoser un morceau du monde
Les métamorphoses humaines nous font éclore en une personne plus proche de notre vérité. De qui nous sommes « en vrai ». Sans falbalas ni armure. La vie est faite de métamorphoses. Nous avons besoin d’elles pour rester vivantes, vivants. Le monde ne reste vivant qu’à condition qu’il y ait métamorphoses.
Dans son essai politique « Dysphoria Mundi », Paul B. Preciado écrit : « Toutes les cultures, à différentes époques de l’histoire, ont inventé des processus de quarantaine, de jeûne, de rupture de rythmes alimentaires, sexuels et productifs de la vie. Ces ruptures fonctionnent comme des techniques de modification de la subjectivité, elles activent un processus de bouleversement de la perception et des sens qui peut générer, en fin de compte, une métamorphose, un devenir-autre. »1
Une rupture de rythme salvatrice
La méditation est très précisément un de ces processus de « rupture de rythme ». Elle offre une césure saine. Elle suspend notre quotidien habituel, parfois infernal, pour nous inviter à écouter le monde au lieu d’essayer de le dominer. Et cette écoute active modifie notre perception de la réalité. Nos yeux s’ouvrent. Notre cœur aussi. Nos sensations arrivent peu à peu à retrouver leur place aux côtés de nos pensées. Elles nous informent ainsi, non plus seulement sur le pourquoi des événements – leur analyse – mais sur le comment. C’est comment de vivre ? Ça fait quoi dans mon corps ? Concrètement, physiquement ?
La méditation est cette étonnante pause qui ouvre à une expérience inhabituelle, plus directe, corporelle, sensorielle, durant laquelle je peux observer finement ce que c’est pour moi, hors de toute représentation sociale, d’être en vie.
Ce corps intimement rempli de notre intelligence
La poétesse (et méditante zen) Laura Vasquez parle de son expérience d’écrire comme celle d’écouter ce que le texte a à lui dire2. Elle respecte le texte pour qu’il se montre, sans idées pré-conçues. Dans la méditation, nous faisons de même avec le corps. Nous le respectons. Nous écoutons ce qu’il a à nous dire, non pas seulement de manière psychosomatique mais dans sa dimension existentielle. C’est-à-dire qu’au lieu de contrôler notre corps, croyant ainsi maîtriser notre vie, nous accueillons jour après jour ses métamorphoses naturelles. Nous découvrons ce corps traversé d’émotions intenses ou microscopiques. Ce corps traversé par le silence. Ce corps intimement rempli de notre intelligence. Et de là notre point de vue s’élargit, il se défocalise de nos seules pensées pour nous ouvrir à un monde plus grand.
S’enclenche alors un « devenir-autre » qui n’est autre que la résonance entre intérieur et extérieur. La métamorphose nous aligne. Patiemment, elle dissout les frontières artificielles que nous créons entre nous et le « reste ». Elle laisse notre sensible profondeur émerger à la surface pour mieux dialoguer avec le monde.
Se mettre à l’écoute
Dans le même temps, se mettre à l’écoute du corps c’est aussi laisser l’extérieur nous nourrir de sa différence. C’est s’ouvrir à ses richesses. Car comme l’écrit Rebecca Solnit « c’est aussi un problème de n’être tout le temps que soi-même ; cela freine l’imagination qui est à la racine de l’empathie, cette empathie qui permet la métamorphose, l’exploration hors de soi »3.
Car oui, explorer l’intelligence du corps c’est paradoxalement autoriser une exploration hors de soi. Notre corps, ce vaisseau, interagit de manière moins cérébrale, moins conceptuelle, moins figée avec l’intelligence du monde. Il respire l’air du monde, il réagit aux sourires échangés, aux mains tendues, à la température des jours et se réorganise moment après moment en fonction de tous ces événements. Avec la possibilité de devenir plus riche de ces expériences physiques. Mieux relié.
Quand je médite, la plupart du temps je m’ennuie. Ou alors je suis en colère. Ou épuisée. Je ne sens pas le changement qui opère. Pourtant, trois jours, trois mois, trois ans plus tard, je ne suis plus la même. Je constate que mon existence même se métamorphose en une réponse plus ajustée à ma vie, aux miens, au monde.
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Photo Büşranur Aydın
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Bravo Marie Laure. Très beau texte, et tellement vrai. Merci pour ce partage sincère à coeur ouvert
Merci pour ce commentaire chère Véronique. L’été est une saison particulièrement favorable à la métamorphose il me semble. En général, nous avons plus de temps, nous ralentissons le rythme… L’occasion de se laisser transformer et de préparer la rentrée.
Merci beaucoup Marie-Laurence pour ce texte magnifique. Voir cette métamorphose, l’Accepter et l’Accueillir avec délicatesse…tout un chemin de méditant(e)!
Métamorphose après métamorphose, sans cesse renouvelée… un apaisement pas toujours confortable! mais juste!
Merci pour tes mots si justes qui éclairent encore avec tant de douceur.
Merci pour ton commentaire chère Annie. C’est en effet très soulageant de réaliser qu’une vie est faite de changements, petits ou grands qui peuvent nous aider à évoluer si nous les accueillons sans (trop) d’appréhension. Et pour cela la méditation est une aide précieuse. Amicalement
Bonjour Marie Laurence. Il y a toujours tes textes beaux, clairs et doux. Dans celui ci, ce qui m’a fait le plus de bien est de lire que malgré des sensations d’ennui, de colère ou d’épuisement, la méditation métamorphose ton existence en quelque chose de « plus adapté à ta vie, aux tiens et au monde ». Tu m’as rappelé qu’il n’y a pas de méditation ratée, qu’il ne faut pas attendre de résultat ou de revivre exactement la même expérience que la précédente. Mes méditations sont très chaloupées et dissipées ces derniers temps, tu m’encourages à continuer quand même à monter à bord et à tenir la barre quelle que soit la direction vers laquelle le vent me mène. Confiance, confiance, confiance ! Merci Marie Laurence.
Chère Isabelle, je suis vraiment contente que ce texte puisse te donner l’inspiration à pratiquer. Merci pour ce beau commentaire et pour ton partage d’expérience. Je t’embrasse
Merci Marie Laurence pour ce partage de la nécessité à consentir à la métamorphose. Je comprends mieux la nécessité de certaines ruptures dans nos vies auxquelles nous nous entraînons sur le coussin. Qu’il s’agisse de « macro » ruptures ou de « micro » ruptures, toutes nous parlent de consentement à nous laisser métamorphoser par la vie.
Comme c’est bien dit chère Catherine. Et curieusement, alors que nous souhaiterions souvent évoluer voire même être quelqu’un d’autre, nous avons tendance à résister à ce changement. En ce sens, la méditation me semble une méthode douce pour s’entrainer à avoir moins peur des métamorphoses. Amicalement
Chère Marie-Laurence,
Merci pour ton beau texte qui résonne en moi!
Oui, la métamorphose, ce mouvement profond et tendre qui se fait souvent à notre insu, quand on se pose et qu’on s’autorise à ne rien attendre. Alors, la vie palpite et nous ouvre à de nouveaux chemins ou à des chemins mieux dessinés. C’est quelque chose qui ne cesse de m’étonner et me donne confiance en la vie.
Je suis très heureuse de voir que tu es portée par un vent frais…
Avec toute mon amitié,
Muriel
Merci Muriel pour ton commentaire.
Ce que tu dis est très juste : il s’agit de s’autoriser à ne rien attendre. Or ce n’est pas toujours dans nos habitudes !…
Et c’est très beau que tu parles de chemins mieux dessinés. Car en effet, quand les événements deviennent trop confus, nous poser permet de rafraîchir notre regard et de redonner des contours plus nets à notre vie.
Avec toute mon amitié
Bonjour chère Marie-Laurence
Merci pour ce texte si riche, qui nous fait toucher directement le simple et le profond de la perpétuelle métamorphose qu’est notre vie. Et parfois, certaines transformations, passages sont plus difficiles et même douloureux. Mais à la sortie de la mue, nous avons grandi, comme le beau serpent de mon jardin, qui croît ainsi d’année en année.
Encore merci, c’est une grande joie de te lire
Agnès
Bonjour chère Agnès, je ne savais pas que tu avais un serpent dans ton jardin. C’est donc bien un Eden ! Cela doit t’offrir un si bel exemple de métamorphose. Et merci pour le compliment, c’est une joie pour moi d’écrire.
Merci Marie-Laurence, pour ce témoignage à la fois poétique et porteur d’une expérience sans compromis. Merci de nous rappeler que la métamorphose est sur notre chemin, quelles que soient les douleurs ou les stagnations illusoires. Un bonheur de retrouver tes paroles précieuses. Huguette
« Porteur d’une expérience sans compromis »… Comme c’est bien dit chère Huguette. Moi aussi je suis heureuse de te lire ici. Très amicalement
Merci Marie-Laurence de me rappeler que la rupture peut être source de vie
Merci Josie pour ton commentaire. Je ne sais pas quelle est la nature de la rupture que tu évoques, mais il certain que les changements, les séparations, les éloignements sont autant d’occasions de grandir au lieu de subir.
En écho, un été , mon prénom d ‘ écriture fut: Psyché.Elle m’aida à muer, quitter ma carapace rigide que les spasmes du corps faisaient craquer. J’ aime beaucoup l’ image d’harmoniser l’ intérieur et l’extérieur où dort le trésor de notre sensibilité mise à mal si souvent et cadeau a préserver. Merci beaucoup.
Merci beaucoup pour ce beau message Martine. J’ai également eu l’occasion de me voir offrir de nouveaux noms, à des moments cruciaux de mon existence, et cela m’a beaucoup aider à éclore. Et à laisser éclore ce trésor intérieur dont les noms que l’on me prêtait étaient l’évocation.
Merci beaucoup Marie-Laurence sur ce beau texte sur l’accomplissement intérieur.
Ce mot de métamorphose qui me faisait un peu peur me paraît soudain… enthousiasmant, dans la période de transition que je traverse. Enfin je ne veux pas céder à trop d’emballement, mais il est en tout cas très inspirant..
Je vais le laisser m’accompagner
Merci pour ce commentaire chère Brigitte. C’est exactement cela : ce mot de métamorphose est encourageant, il transforme notre approche des transitions auxquelles nous confronte la vie.
Et vive l’enthousiasme, c’est un moteur puissant.
Amicalement.
Merci Marie-Laurence pour ce texte magnifique. Merci de nous rappeler combien ces métamorphoses grandes ou petites, parfois douloureuses, souvent inconfortables, nous sont bénéfiques . Telle la mue du serpent qui doit quitter sa peau pour grandir, elles nous accompagnent et nous guident sur notre chemin de vie.
Chère Bridge, heureuse de te lire. Pour moi ce mot de métamorphose est très aidant car permet justement de surmonter la douleur ou l’inconfort de certains changements, de certaines ruptures. Il décrit ce besoin de changer de peau pour grandir. je t’embrasse
Merci Marie-Laurence, pour ce texte magnifique, profond, juste et plein de cœur ! Il est beau ce mot de métamorphose, il ouvre, fait entrer de la fraîcheur là où l’on pouvait se sentir un peu enfermé… une tristesse accueillie sur le coussin hier matin s’est… oui peut-être que je peux dire « métamorphosée », j’étais un peu plus légère et ouverte à mes proches ensuite… un peu plus près de moi ? Je te souhaite, chère Marie-Laurence, une belle et heureuse nouvelle page de vie, pleine de grandes et petites métamorphoses !
Merci chère Christine. J’aime beaucoup l’idée que le mot de métamorphose puisse faire « entrer de la fraîcheur là où l’on pouvait se sentir un peu enfermé ». Ce un mot, chargé de promesses, est à ré-intégrer à notre vocabulaire pour, comme tu le dis si bien, nous découvrir un peu plus légères face aux surprises de la vie.
Merci Marie-Laurence pour ce texte magnifique sur la métamorphose ! Cela est bien réconfortant de te lire …
Effectivement, la méditation agit en douceur alors que nous n’avons pas l’impression de changer ! Mais en profondeur et sur la durée, nous nous ouvrons au monde et c’est là que la métamorphose nous faire ressentir le monde, les gens autrement. C’est vraiment magique.
Merci à toi.
Merci Sylvie. Tu décris parfaitement ce qui se passe : nous n’avons pas l’impression de changer et pourtant, peu à peu, nous la méditation nous fait ressentir le monde différemment. Très amicalement.