Cela fait des siècles que l’on pose fiévreusement la question « Esprit, es-tu là ? »… Et si on s’intéressait un peu au corps à présent ?
Nos corps abandonnés
Trop douloureux et trop changeants, nos corps ont subi notre désaffection. Si l’on en prend soin, c’est uniquement au service d’un paraître social ou sexuel. Notre expérience corporelle a été, peu à peu, reléguée au rang des phénomènes obsolètes. Pour remplacer le monde des sensations, nous avons inventé la performance. Notre société – et nous avec – a inventé la performance.
Un corps sans valeur
Si tu n’es pas performante, tu as peu, ou pas, de valeur. Et pour s’assurer de la performance de chacune, chacun, pour la mesurer, la comparer, la vendre, nous entamons des calculs sophistiqués. Tout devient chiffres et quantités.
« Nous vivons sous l’emprise du calcul permanent. Du poids idéal en passant par le quotient intellectuel, la surface de l’appartement, l’extension de mémoire informatique, le nombre d’heures supplémentaires, les résultats du compte d’entreprise, jusqu’aux milliards d’euros du réchauffement climatique, tout ce que nous touchons se transforme en chiffres[1] »,
analyse la polytechnicienne et romancière Isabelle Sorente. Elle explique que cette addiction aux chiffres, apparemment rassurante, devient un nouveau scientisme, une forme d’obscurantisme.
Reprendre corps
Or nous ne sommes pas des marchandises, encore moins des données définies par des tableaux Excel… Pour résister au « tout chiffré », au « tout comptabilisé » qui nous déshumanise, nous pouvons reprendre corps. Ainsi, nous mettons un frein à la digitalisation de notre présence. À l’abstraction de notre être. À l’effacement de notre existence concrète.
Pour cela la méditation m’apparaît comme une puissante alliée. Grâce à elle, nous nous autorisons à tout ressentir. Notre expérience redevient incarnée au lieu de rester fantasmée. Nous habitons de nouveau notre vie au lieu de la rêver. Nous nous réveillons.
Être réduit·e à un nombre n’est alors plus acceptable.
[1] Isabelle Sorente, Addiction générale, JC Lattès, 2011.
Photo Hadi Slash