En septembre 2015, j’ai publié un ouvrage sur la méditation de la bienveillance. J’aimerais aujourd’hui partager avec vous mon constat sur l’état des relations humaines dans le monde du travail, à partir du quotidien d’une chef d’entreprise.
Le phénomène de la double injonction
Le monde du travail est de plus en plus souvent jalonné de ce que nous pourrions nommer des « missions impossibles ».
Si cette expression a donné son titre à une délicieuse série télévisée de la fin des années 1960, elle s’avère d’une réalité un peu moins « glamour » dans le quotidien : on nous demande d’être toujours plus efficace en toujours moins de temps, toujours plus exhaustif avec des contraintes croissantes, toujours plus créatif avec de moins en moins de moyens, d’avoir de l’initiative et des idées neuves, mais sans rien changer, ou encore d’être détendu et en pleine santé, mais en restant entièrement disponible pour l’entreprise…
Nul n’échappe à ce phénomène social qui envisage la maîtrise totale de tout comme une possibilité réelle, en faisant fi des accidents, de l’imprévisible, de notre finitude, et qui considère – sans le dire – que les hommes doivent pouvoir se comporter comme des machines, avec la même « efficacité » et la même infatigabilité.
Le zéro défaut est-il humain ?
Si nul ne peut prédire où nous mènera cette étonnante course vers le « zéro défaut », nous pouvons voir en revanche combien elle donne lieu, jour après jour, à des objectifs en contradiction avec les contraintes, à des ordres et des contre-ordres, à l’accumulation de données, au départ compréhensibles et intéressantes, en tableaux de statistiques illisibles et faussement rassurants.
Cela m’évoque ce que le mouvement de pensée de l’École Palo Alto [1], fondée en 1954, appelait la double injonction (ou « double contrainte ») : demander une chose et son contraire dans la même phrase, et mettre ainsi son interlocuteur dans l’impossibilité d’accomplir sa tâche ou, dans le moins pire des cas, le plonger dans un doute complet quant à sa capacité à répondre à la demande.
C’est un phénomène très courant aujourd’hui qui, s’il n’est pas forcément induit par de mauvaises intentions, peut être enrayé par une attitude bienveillante.
En quoi la bienveillance peut-elle aider ?
La méditation nous apprend, au fil de la pratique, à voir plus clair dans les situations et notamment à être moins aveuglé par la pression, l’urgence et l’autorité abusives. Elle nous permet donc, dans un premier temps, d’avoir une plus grande discrimination entre ce qu’il est possible de faire et ce qui ne l’est pas, entre les situations sur lesquelles nous pouvons agir et les autres.
La méditation de la bienveillance nous apporte quant à elle un regard plus doux et plus ouvert sur les situations. Elle nous permet de ne plus tout prendre pour une attaque ou un défi personnel. Une nouvelle confiance naît de la pratique, qui nous aide à faire le tri entre ce qui est vraiment problématique et ce qui n’est qu’un caprice (de notre part ou de la part de notre entourage), qui passera, si l’on sait faire preuve d’un peu de patience.
Y-at-il un (vrai) manager dans la salle ?
En tant que manager, la pratique de la bienveillance nous aidera également tout simplement à mieux traiter nos collaborateurs, à laisser tomber la mauvaise foi au profit de l’honnêteté qui est, au fond, une qualité à laquelle nous aspirons tous.
Les managers vraiment compétents sont attentifs aux différentes manières de prouver leur reconnaissance envers leurs équipes. Pour eux, il ne s’agit pas là d’une stratégie pour obtenir plus d’efficacité en entreprise, mais d’une réelle gratitude envers les femmes et les hommes qui contribuent à la réussite générale.
[1] École fondée en 1952 par l’anthropologue Gregory Bateson pour étudier le « paradoxe de l’abstraction dans la communication ». En 1956, les membres du projet publient un article commun Vers une théorie de la schizophrénie qui introduit le concept de « double contrainte » qui va bouleverser les conceptions psychiatriques traditionnelles. Voir à ce propos les passionnants ouvrages de Paul Watzlawick.